Le
19 mai prochain, Seattle et Benaroya Hall accueilleront
pour la première fois le pianiste Cyprien Katsaris
lors d’un concert exceptionnel regroupant
les œuvres de trois générations de la famille
Mozart, ainsi que de Robert Schumann, Frédéric Chopin,
et Jean-Sébastien Bach. L’occasion d’écouter
un pianiste hors du commun et de rencontrer un homme
au destin ô combien exceptionnel et que le succès
n’a pourtant pas grisé.
E.W. : La musique s’est imposée à vous
très tôt… est-ce un fruit du hasard ?
C.K. : Je crois aux vies passées,
je ne vais pas rentrer dans trop de détails, car
c’est quelque chose de très personnel, mais
ce n’est pas la première fois que je pratique
la musique. Lorsque ma mère était enceinte, elle
avait émis le souhait d’avoir un fils chef
d’orchestre. A l’âge de trois ans et
demi, je me souviens très précisément du jour où
les transporteurs avaient amené un piano droit que
mes parents avaient acheté pour ma sœur aînée.
Je me souviens très bien avoir été attiré comme
par un aimant par l’instrument…Vous
savez, je considère un peu la musique comme ma femme
et le piano comme ma maîtresse. Pour Pythagore,
le mot musique signifie absolument tout : la
musique, la philosophie, l’astronomie, la
science. Je vous signale que le mot musique vient
de muse. Vous allez sourire, mais si je vois dans
la salle un joli sourire féminin, cela peut suffire
pour aider à ce que je joue mieux. Il y a là un
aspect inspirant très important, la muse, la femme
qui inspire. Selon la mythologie grecque, c’est
à Chypre qu’est née Aphrodite, la déesse de
l’amour et de la beauté que les latins appellent
Vénus. Les pythagoriciens étaient convaincus que
chaque corps céleste produit un son lors de son
évolution dans l’espace et que l’ensemble
de ces sons produit l’harmonie des sphères.
Le premier prélude de Bach représente tout à fait
pour moi cette description pythagoricienne. Quelqu’un
comme Jean-Sébastien Bach représente absolument
tout. Il a articulé le plan musical de la plus belle
manière qui soit. Sa musique contient également
des mathématiques, de la philosophie, il y a absolument
tout dedans.
E.W. : Vous voyagez énormément.
Y-a-t-il un pays dont vous vous sentez plus proche ?
C.K. : Je suis peut-être plus
chauvin que les Français de souche. Je me sens complètement
franco-gréco-européen. Je me sens bien partout.
Il n’y a absolument aucun problème. Je m’adapte
et j’essaye de comprendre les personnes où
qu’elles vivent, sous quelque latitude que
ce soit. Mais quand je suis quelque part, j’ai
toujours très envie de rentrer sur Paris ;
j’adore Paris. J’aime beaucoup les Etats-Unis.
Beaucoup d’amis se moquent de moi, car je
vais manger très souvent au Planet Hollywood sur
les Champs Elysées.
E.W. : Avez-vous un répertoire
de prédilection ?
C.K. : Pas du tout. Vous savez,
j’adore les meringues pralinées, mais je ne
pourrais pas en manger tous les jours. Je joue absolument
de tout.. C’est vrai que je m’éloigne
un petit peu de la musique contemporaine. J’ai
joué un petit peu de Pierre Boulez et d’Olivier
Messiaen, mais je m’éloigne un petit peu de
la musique contemporaine.
E.W. : Comment travaillez-vous ?
C.K. : J’essaye de garder
un équilibre entre le grand répertoire, les œuvres
très connues et le répertoire moins connu
ou méconnu, ou injustement négligé. C’est
une de mes perversions. J’ai fait beaucoup
de premiers enregistrements mondiaux d’œuvres
qui avaient été complètement oubliées. C’est
passionnant de découvrir ces morceaux, de les jouer
et de les enregistrer en public à côté d’œuvres
archi-jouées. De toute façon, je joue comme j’ai
envie de jouer, que cela plaise ou non. Quand on
redéchiffre une œuvre archi connue, on se dit :
« Mais c’est quand même génial ! »
Il faut garder la fraîcheur de la première rencontre,
un peu comme un premier amour. Quand je déchiffre
un morceau, je vois tout de suite ce qui devrait
se passer. Il faut beaucoup travailler, mais parfois
le travail peut nuire à la fraîcheur. Il faut veiller
à ne pas perdre cette fraîcheur, un peu comme quand
on enregistre dans un studio ; il est absolument
capital de ne pas mettre de côté l’impact
émotionnel qui existe quand vous jouez en public.
Vous entendez souvent des musiciens vous dire qu’ils
préfèrent les enregistrements live aux enregistrements
en studio. Comme le disait mon professeur Monique
de la Bruchollerie, quand vous entrez sur scène,
oubliez la préparation et jouez avec votre cœur.
C’est très important. Il vaut mieux qu’il
y ait une fausse note, ou un petit trou de mémoire,
et que quelque chose se passe, plutôt que tout se
déroule à la perfection et que l’on s’ennuie.
E.W. : Quand et pourquoi avez-vous
créé votre propre label ?
C.K. : Piano 21 a été créé
en janvier 2001, la première année du XXIème siècle.
Nous avons 15 CDs et 2 DVDs. Je voulais être totalement
indépendant et libre, d’abord parce que les
grandes multinationales s’intéressent de moins
en moins à la musique classique. Les ventes ne sont
pas terribles. Ils peuvent vivre sur leur fond de
catalogue, sur les anciens enregistrements. Actuellement,
les productions de disques classiques sont limitées
et de plus en plus de musiciens créent leur propre
label. J’ai donc une liberté entière. Que
cela se vende ou pas, je m’en fiche complètement,
du moment que le disque existe. Nous avons trois
collections : les nouveautés, les concertos
de Mozart enregistrés à Salzbourg entre 1996 et
1998, et les archives.
Pour plus d’information ou
pour réserver vos places au concert du 19 mai :
http://www.concertsnorthwest.com/index.htm
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