Les
souliers de
Tocqueville
seraient-il trop
grands pour Bernard
Henri Lévy ?
Coup
médiatique ou
véritable démarche
intellectuelle ? BHL
voit grand, BHL voit
loin. Invité par la
revue Atlantic
Monthy en 2004, en
pleine période
préélectorale, à
parcourir les
Etats-Unis pour en
quelque sort retracer
l’itinéraire d’Alexis
de Tocqueville, BHL
nous fait part de son
regard à la fois
critique, mais aussi
admiratif, toujours
français, sur l’état
de la démocratie
américaine à l’aube du
XXIème siècle.
Né de
cette série d’articles
publiés dans le
Atlantic Monthly,
American Vertigo
(publié par Random
House) est sorti le 22
janvier aux
Etats-Unis, avec deux
mois d’avance sur le
calendrier français,
une première pour
l’auteur philosophe,
élevé au rang de
quasi-star en France,
où sa démarche est
cependant souvent
fortement décriée.
Après tout, une
mauvaise publicité ne
vaut-elle pas mieux
que pas de publicité
du tout ?
Qu’en
est-il donc du Vertige
Américain ? Au-delà
des clichés, et ils
sont nombreux dans le
livre, l’analyse sonne
souvent juste, à
défaut d’être
originale pour qui a
tant soit peu la
volonté d’une démarche
intellectuelle honnête
vis-à-vis de la
situation politique,
économique et sociale
américaine.
Clichés, le choix et
la description des
lieux et des
personnes ? Souvent,
même s’ils ne sont pas
toujours dénués d’un
humour parfois subtil
et bienvenu, en tout
cas aux yeux des
expatriés, français en
particulier. Les
Américains riront sans
doute moins, et se
sentiront peut-être
même incompris, voire
personnellement
insultés, comme ce fut
sans doute le cas pour
Garrison Keillor. Les
hauts lieux de la
géographie américaine
se limiteraient-ils au
Grand Canyon et à Mont
Rushmore ? BHL a-t-il
déjà entendu parler de
Big Bend National
Park, l’un des plus
grands parcs
américains, certes pas
l’un des plus
médiatiques, mais l’un
des plus fascinants ?
En tout cas, il semble
que son chauffeur -
c’est bien connu, les
stars aiment se faire
conduire - n’ait pas
fait le détour par ce
coin du Texas après 25
000 kilomètres passés
sur la route. La
description de
Seattle, Seattle,
Mon Amour, lue
avec emphase par BHL
lui-même, en public
lors de son passage en
ville, fera sourire
plus d’un habitant de
la ville. Et cette
fois-ci, non grâce à
son humour.
Juste,
l’analyse ? Il faut
bien le reconnaître !
Evidement, cela met
toujours du baume au
cœur du lecteur de se
voir conforté dans ses
propres idées, même ou
surtout, selon les
goûts, si elles sont
présentées avec style
et panache.
American Vertigo
nous présente un pays
en proie à une grave
crise politique et
intellectuelle, et
qui, sous des airs
faussement assurés,
doute de lui-même. Le
modèle démocratique
s’essouffle face à un
conformisme
grandissant. La
tyrannie de la
majorité, décrite par
Tocqueville, s’étend,
doublée maintenant
d’une tyrannie des
minorités. L’Amérique
est victime de sa
gloutonnerie et de son
obésité à tous les
points de vue :
obésité politique,
budgétaire,
religieuse,
économique, sociale et
physique. La gauche
américaine est en
déroute, faute d’avoir
trouvé un candidat
prêt à se battre pour
ses idées, aussi
différentes
soient-elles du modèle
républicain, et
surtout un candidat ne
cherchant pas un
consensus tiède en
adoptant la voie du
milieu, comme se fut
finalement le cas aux
dernières élections.
BHL reste convaincu
par le modèle
démocratique
américain, né d’un
équilibre entre
l’intervention de
l’état et la capacité
de ses citoyens à
prendre leur propre
destin en main, même
s’il en dénonce le
flagrant déséquilibre
actuel et
l’insuffisance de
l’intervention
étatique fédérale et
locale, lors de
Katrina par exemple.
Malgré une situation
pour le moment bien
sombre, il ne
désespère pas de voir
le pays se redresser.
Bien au contraire, il
garde la foi en la
fabuleuse capacité
qu’ont les Américains
de toujours se
réinventer, remodeler
leur identité et
prendre en charge leur
destinée par le biais
de l’initiative
individuelle :
philanthropie et
mouvements populaires
(« grassroots
organizations »).
Enfin,
il serait injuste de
finir cet article sans
parler de l’homme
lui-même, tant il a
fait et fera encore
couler de l’encre à
son sujet. Il peut
être à la fois
lui-même et son
contraire, tel l’une
de ces formules qu’il
affectionne
particulièrement.
Modeste, comme lors de
son apparition
publique à Seattle,
pendant laquelle il
s’est tout de même
proposé pour prendre
le rôle, vacant, de
l’intellectuel public
aux Etats-Unis (la
France ne
voudrait-elle plus de
lui ?) ; mais aussi,
et surtout, lorsque
côtoyé de près,
tellement arrogant.
Quant à ses rencontres
avec les Américains,
BHL aime à souligner
sa préférence à
discuter avec des
anonymes, même si son
livre regorge de
grands noms tirés du
carnet mondain et que
sa célébrité semble
lui ouvrir toutes les
portes, de Sharon
Stone à John Kerry, en
passant par Guantanamo
Bay. Peut-être ces
anonymes étaient-ils
impressionnés par cet
étrange cortège :
l’intellectuel et son
chauffeur, apparemment
suivis d’un minibus de
cinéastes français
documentant le
« making of » d’American
Vertigo. Il en
faut souvent moins que
cela à un
anthropologue pour
effaroucher ses
sujets !
Finalement, faut-il
voir dans American
Vertigo un livre
sur la société
américaine ou plutôt
les tribulations d’un
écrivain français venu
redorer son blason aux
Etats-Unis ?
Mais de
quoi ça parle ?
What is this all
about?
American Vertigo,
ego’s vertigo?
Are
Tocqueville’s shoes
too large for Bernard
Henri Lévy?
It all started with a
series of articles
commissioned by the
Atlantic Monthly. The
idea was to send a
famous French author,
Bernard Henri Lévy,
better known in France
as BHL, in the
footsteps of his
fellow countryman
Alexis de Tocqueville
to survey and analyze
the current state of
affairs of the
American democracy. A
couple years later,
BHL presents his
findings in
American Vertigo,
which was released on
January 22nd
in the United States,
a couple months ahead
of its French release.
BHL rarely leaves
people indifferent (he
is much decried in his
own country) and his
latest work will
probably not escape
this rule. American
Vertigo is enjoyable
to read, with a good
dose of humor that
will probably fit the
French taste better
than the American one.
But it is also full of
clichés and its
conclusions, although
well written, are
nothing new to anyone
who has enough
intellectual honesty
to face the truth
about the current
American political,
economic and social
climate. Add to this
the fact that BHL was
chauffeured across the
18,000 miles of his
American Odyssey, and
followed by a van of
French filmmakers
documenting the making
of American Vertigo,
and you’ll end up
wondering whether this
book is more about
American democracy or
about BHL himself.
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